Le conflit au Haut-Karabagh : exemple de reflux dans l’espace post-soviétique
Le conflit opposant actuellement l’Arménie et le Haut-Karabagh (État non reconnu par la communauté internationale) à l’Azerbaïdjan est l’exemple le plus brûlant des vives tensions qui secouent le glacis concédé il y a soixante-quinze ans à l’Union Soviétique, dont la Fédération de Russie a hérité. Cette construction diplomatique visait notamment à reconnaître le statu quo issu de la Seconde Guerre mondiale et ainsi à garantir la sécurité et les intérêts de la Russie, qu’elle fut soviétique ou fédérative. Depuis le 27 septembre 2020, l’affrontement armé au Karabagh semble être l’illustration parfaite des difficultés auxquelles la Russie fait face dans des espaces où elle joue traditionnellement les premiers rôles.
Le rôle historique de la Russie au Haut-Karabagh
Peuplée majoritairement d’Arméniens depuis plusieurs siècles[1], la région est revendiquée par l’Azerbaïdjan comme par l’Arménie depuis des décennies. Si le conflit ne naît pas à l’ère soviétique mais bien avant, il connaît des développements importants à cette période. Au début du XXe siècle, les organes caucasiens du comité central du Parti communiste de l’Union Soviétique, sous l’égide du commissaire aux Nationalités, Joseph Staline, entreprirent de trancher certains litiges territoriaux dans la région. Le Nakhitchevan et le Haut-Karabagh furent initialement rattachés administrativement à l’Arménie en 1920 avant qu’un retournement, probablement lié à l’importance énergétique de l’Azerbaïdjan et à des manifestations antisoviétiques à Erevan en 1921, pousse Staline à attribuer ces régions à l’Azerbaïdjan[2]. Un an plus tard, l’Union Soviétique crut tenir la clé en créant une éphémère « République socialiste fédérative de Transcaucasie » qui ne dura pas quinze ans (1922-1936).
La situation n’évolua plus jusqu’en 1991, date à laquelle le Haut-Karabagh proclame pour la première fois sa volonté de rattachement à l’Arménie : c’est la naissance d’un conflit long de six années durant lequel l’Arménie soutient le nouvel État autoproclamé en 1991 (qui n’est pas reconnu par la communauté internationale) dans son opposition militaire à l’Azerbaïdjan. Il faudra attendre la constitution du Groupe de Minsk en 1992 (rassemblement de douze États coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie) et l’accord de paix qu’elle mettra deux ans à faire accepter (1994) pour que le conflit s’apaise sans jamais s’éteindre complètement.
La Russie, acteur moins tranchant dans le maintien de l’ordre au sein de l’espace post- soviétique
Un élément interpelle dans ce conflit : l’étonnant positionnement de Vladimir Poutine, qui semble totalement pris au dépourvu par la situation. Si le conflit s’est bien déclaré de façon soudaine, il semble que la Russie pâtisse d’une stratégie qui révèle ses limites dans le Caucase. En voulant tisser un réseau solide et multicanaux de partenaires, Vladimir Poutine a contribué à un enchevêtrement. La Russie est militairement alliée à l’Arménie, d’abord par une appartenance commune à l’Organisation du traité de sécurité collective mais également par le stationnement de forces terrestres, aériennes et balistiques russes sur le territoire arménien (la base militaire de Gyumri en est un bon exemple). Cette relation privilégiée avait même conduit le chef de la base de Gyumri à affirmer, en 2013, que « les militaires russes stationnés sur la base pourraient se joindre à l’Arménie si l’Azerbaïdjan cherchait à imposer sa souveraineté au Nagorno-Karabagh, en accord avec les obligations lui incombant au titre de l’Organisation du traité de sécurité collective »[3].
Pourtant, le positionnement stratégique de Bakou et son statut d’important client de l’industrie de défense russe poussent Vladimir Poutine à rester prudent. La richesse énergétique de l’Azerbaïdjan lui permet également une liberté de ton et d’action relativement rare dans l’espace post-soviétique, le pays se permettant même des épisodes de tension (2006-2007) avec l’ancienne puissance tutélaire. Bien qu’il veillât toujours à ménager Bakou, Vladimir Poutine s’est trouvé pris au piège ces dernières années par l’offensive diplomatique de la Turquie dans la région. Sévère camouflet pour le président de la Fédération de Russie qui s’est trouvé contesté dans le Caucase, au cœur de son glacis, par le discours de Recep Tayyip Erdogan qui ne manque pas de séduire son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliyev. La Russie a bien tenté de reprendre la main en convoquant à Moscou les ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais. En obtenant un cessez-le-feu qui n’est objectivement pas respecté, cette entreprise semble avoir démontré les difficultés auxquelles la Russie de Vladimir Poutine fait face dans son espoir de contrôle de l’espace post-soviétique.
Par-delà le Caucase : Biélorussie, Ukraine, Asie centrale…
Eu égard à l’apparition ou au dégel d’un certain nombre de conflits dans l’espace périphérique russe, il semble qu’un certain nombre d’analystes (comme Francis Fukuyama) ayant lu dans l’effondrement de l’Union Soviétique un processus calme et pacifique de « fin de l’histoire » voient leur analyse remise en cause. Outre le Karabagh, la guerre civile dans le Donbass, la contestation d’Alexandre Loukachenko ou les émeutes au Kirghizistan, qui ne sont pas sans rappeler les « révolutions colorées », constituent autant d’exemples qui prouvent que l’espace post-soviétique est loin de l’image figée que l’Occident lui prête régulièrement et que la Russie parvient moins à y imposer sa volonté.
[1] Rutland, P. (1994). Democracy and Nationalism in Armenia. Europe-Asia Studies, 46(5), 839-861. Consulté à l’adresse suivante :http://www.jstor.org/stable/152953
[2] De Waal, T. (2013). Black garden : Armenia et Azerbaijan through peace and war, New York University Press.